En Suisse, les chercheur.e.s ont peu examiné l’action syndicale et ses éventuels effets sur la dynamique de l’égalité professionnelle et les politiques d’égalité. Les syndicats sont pourtant des acteurs incontournables des relations professionnelles dont le rôle ne peut être négligé dans le cadre d’une réflexion, qui est celle du PNR 60, sur les avancées et les résistances en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Notre recherche avait pour but de combler cette lacune.
Pour aborder les syndicats en tant qu’acteurs des dynamiques de l’égalité professionnelle nous les avons analysés sous deux angles : - 1-En tant qu’acteurs centraux des relations professionnelles impulsant, ou pas, des mesures visant à promouvoir l’égalité dans le monde du travail (égalité salariale, conciliation famille-travail, temps partiel, etc.)
- 2-En tant qu’organisations qui sont aussi des espaces de mise au travail où se (re)produisent des inégalités de genre, et qui mettent en œuvre (ou pas) des mesures de promotion de l’égalité entre leurs salarié-e-s et dans leurs instances.
L’enquête a reposé sur un questionnaire auto-administré adressé aux syndicats helvétiques appartenant aux deux faitières, l’Union Syndicale Suisse (qui regroupe 14 syndicats de tradition de gauche) et Travail.Suisse (qui regroupe 9 syndicats de tradition chrétienne), dans le souci de couvrir la diversité idéologique du paysage syndical. Les cantons de Vaud, Bâle et Tessin où les syndicats Unia, SSP-VPOD et Syna, plus l’OCST pour le Tessin sont présents, ont fait l’objet d’une analyse qualitative grâce notamment à 95 entretiens approfondis, de type récit de vie, mais aussi au moyen d’une analyse documentaire détaillée. L’analyse du niveau national repose quant à elle essentiellement sur les 996 questionnaires (sur un bassin de 2500 à 3000 personnes) récoltés et qui nous permettent de reconstituer les carrières syndicales, militantes, professionnelles et familiales des militant.e.s ou salarié.e.s des syndicats. L’enquête a montré que les syndicats affiliés à l’USS sont davantage engagés, tant à l’interne qu’à l’externe, dans des pratiques de promotion de l’égalité. Dans les syndicats chrétiens, ces dernières restent peu pensées, voire peu légitimes, même si une récente féminisation du personnel syndical de ces syndicats et des tentatives d’y structurer des groupes femmes nous laissent penser que des changements en la matière sont possibles sur le moyen terme. Quant aux syndicats affiliés à l’USS que nous avons étudiés, ils disposent, même si de façon différenciée entre eux, de groupes femmes structurés, de postes consacrés à la question égalité et de quotas internes tant pour les postes salariés que dans les instances. Leur engagement, grâce en particulier à leurs groupes femmes, pour faire progresser l’égalité en interne est donc certain. A Unia, les femmes syndiquées sont certes minoritaires (20%) mais elles représentent aussi le plus fort potentiel d’expansion syndicale (alors qu’au SSP elles dépassent désormais le 50% des syndiqué.e.s et leur présence joue donc fortement dans la prise en compte des questions d’égalité). Néanmoins, ces mesures rencontrent aussi des limites et produisent parfois des effets paradoxaux. Ainsi, la culture syndicale de ces organisations reste androcentrée et valorise toujours le militant engagé « corps et âme » dans la lutte syndicale. Peu de mesures favorisent effectivement la participation militante des femmes (les réunions sont les soirs, il faut se déplacer, qui plus est le week-end, si l’on veut participer aux instances nationales…) malgré les quotas dont ils se dotent. Ces mêmes quotas peuvent aussi produire, parmi le personnel syndical, une souffrance spécifique au travail pour des femmes « propulsées » par les quotas à des postes à responsabilité mais sans avoir forcément été formées et devant opérer dans un milieu au mieux indifférent aux contraintes qui pèsent sur les carrières féminines (notamment la difficile conciliation famille-travail), au pire hostile (notamment des femmes en charge de secteurs très masculins). Pour finir, la division du travail reste fortement genrée au sein de toutes les organisations syndicales. Les postes les plus politiques et les plus élevés dans la hiérarchie sont largement monopolisés par des hommes. A Syna et à l’OCST, quelques rares femmes occupent des postes politiques. Elles restent très largement présentent cependant dans les fonctions administratives. A Unia, la même division entre travail politique « masculin » et administratif « féminin » se retrouve mais de plus en plus de femmes accèdent à des postes à responsabilité politique. Toutefois, certaines fonctions essentielles comme celle de responsable de région sont toujours presque exclusivement occupées par des hommes. Pour finir, les hommes se retrouvent aussi beaucoup plus dans les secteurs traditionnels, les plus prestigieux, du syndicat. Pour finir, le SSP fait figure de « bon élève » : si les postes administratifs sont presque exclusivement occupés par des femmes, celles-ci sont toutefois très présentes aussi dans les postes politiques. Quant aux actions menées en externe, donc dans le monde du travail, si ces syndicats sont, les deux, engagés dans la promotion de l’égalité dans le monde du travail, notamment salariale mais pas uniquement (il est aussi question de harcèlement sexuel, de conciliation famille-travail, de salaire minimum), leur approche et leurs actions varient du fait même des milieux professionnels très différents auxquels ils ont à faire (privé pour Unia, public ou parapublic pour le SSP). Le rôle des commissions femmes est absolument central dans la promotion des politiques d’égalité de ces syndicats tant dans le monde du travail (campagnes lancées, prospectus publiés, dénonciation de discriminations) qu’à l’interne (politique de quotas). Néanmoins le risque de cette structuration organisationnelle est la relégation de questions d’égalité à ces commissions et la non prise en compte par les autres instances des inégalités de genre qui sont pourtant transversales.
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