Dès le début des années 1930, le Parti communiste en URSS considère que la «question des femmes» est réglée une fois pour toutes, puisque le pays est devenu «socialiste» et que la femme est dorénavant l’égale de l’homme.Pourtant la politique stalinienne lance de nombreuses campagnes qui s’adressent en particulier aux femmes, notamment dans ses appels à rejoindre les efforts d’industrialisation et de collectivisation. En même temps, des acquis, comme le droit à l’avortement, sont supprimés et se crée, sur l’impulsion du régime, un «Mouvement des épouses» qui prône le retour au foyer et valorise la prédominance de l’homme dans le couple. La politique du régime, dans les années 1930, face à ce que l’historiographie appelle la «problématique de genre», est donc aussi diverse que les modèles du féminin et du masculin qui la sous-tendent.L’objectif de cette recherche est de sonder la réalité contradictoire et les effets de cette politique sur la différence de genre. Pour cela, nous étudierons par une approche micro-historique le «cercle stalinien», groupe de personnes en relations régulières ou continues avec Staline. Ce cercle, structuré selon des strates de proximité, regroupait presque indistinctement des personnes provenant des instances dirigeantes du Parti communiste et de l’appareil d’État, ainsi que des relations privées et familiales. Ce microcosme représente pour l’historiographie un cas exemplaire d’un Lebenswelt soviétique où vie privée et vie politique s’entremêlent de manière permanente. Il s’agit de comprendre comment dans ce cercle se construit et se reconstruit la différence de genre, alors même que le discours officiel du Parti postule l’égalité des sexes comme étant acquise.Notre questionnement portera sur l’analyse des discours sur le genre qui s ’affrontent, sur les représentations qui les alimentent et sur les pratiques qui les appliquent, les modifient ou les subvertissent. Il s’inscrit donc dans la thématique de l’École doctorale «Gender : Scripts and Prescripts», axée sur l’attribution discursive des rôles et des identités de genre, leur négociation et leur appropriation par les individus.Notre principale source est formée par les écrits autobiographiques ou les ego-documents produits par les membres du cercle de Staline. Ils sont de deux types. Outre les ego-documents bien connus de l’historiographie et largement répandus ailleurs qu’en URSS, notamment la correspondance et le journal intime (dnevnik), il existait également des formes plus particulièrement soviétiques, institués dans des pratiques du Parti, comme l’autobiographie ou l’autocritique. Le jeu mutuel entre les ego-documents et les textes propagandistes est vu comme un «scripts and prescripts» genré et basé sur le mode de l’influence réciproque l’un sur l’autre.
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